Pourquoi les employés se rebellent contre les vieux logiciels

Les systèmes de ticketings ou GMAO traditionnels isolent les employés et nourrissent la méfiance. Les outils collaboratifs favorisent transparence, confiance et productivité entre les équipes.

Imaginez un agent d’entretien arrivant dans un collège avec pour instructions d’entretenir la piscine.

Sauf que l'école n'a pas de piscine...

Ce scénario absurde se reproduit quotidiennement dans les organisations utilisant des systèmes de ticketings traditionnels. J'ai vu des superviseurs planifier l'entretien de chaudières de bâtiments raccordés au chauffage urbain (qui n'avaient pas de chaudière). Les travailleurs de terrain reçoivent des instructions contradictoires sur l’objet de ce qu’ils ont à faire ou sur le timing.

Il ne s'agit pas de problèmes de système, mais de caractéristiques héritées d'une philosophie de gestion industrielle qui maintient délibérément les individus dans des bulles séparées.

L'héritage balistique

Les systèmes de travail modernes sont imprégnés du taylorisme, où chacun reste dans son environnement. On maintient un client dans sa bulle. Un superviseur planifie et dispatche les tâches aux employés. Les employés exécutent leurs tâches sans se poser de questions.

La plupart des systèmes de ticketing issus des années 1990 et du début des années 2000 adoptent cette approche balistique. Ils collectent des informations des demandeurs, mais peinent considérablement à donner des retours d’information. Ils envoient des tâches à la va-vite, sans réel capacité d’ajustement si l’ordre est mal compris ou imprécis.

En bout de chaîne se trouvent les systèmes de GMAO et de Field service (ou application de terrain en bon français) qui isolent les travailleurs. Aucune remise en question du travail, du calendrier ou de l'objectif. Il suffit d'exécuter ce que la « grande machine » d'en haut nous a dicté.

Les recherches montrent que 75 % des employés des entreprises sont soumis à une surveillance régulière grâce à ces systèmes rigides. Mais contrairement à la promesse initiale de Taylor, cette surveillance n'améliore pas la productivité.

Quand les travailleurs se rebellent

Les managers réalisent qu'ils ont besoin de changement lorsque les utilisateurs abandonnent complètement le processus officiel. Ils entrent en « mode rebel » en utilisant les e-mails ou les SMS pour contacter en direct les professionnels capables de résoudre leurs problèmes.

Cela permet une communication plus directe, mais elle est désordonnée et déstructurée. Plus important encore, cela révèle la défaillance fondamentale du système formel.

Les employés trouvent les instructions stupides lorsqu'elles sont floues, contradictoires ou trop longues. De leur point de vue, la piscine fantôme représente tout ce qui ne va pas avec l'attribution descendante des tâches.

Mais voici ce qui se passe ensuite.

L'effondrement de la chaîne de confiance

Les travailleurs ignorent des ordres manifestement stupides, comme l'entretien de piscines inexistantes. Mais cela suscite également une méfiance envers les jobs légitimes.

« S’ils se sont tellement trompés sur ça, qu’est-ce qui est encore discutable ou faux? »

Les employés commencent à tout remettre en question. Peut-être qu'ils effectueront plutôt une maintenance mensuelle tous les trois mois. Quelqu'un s'en apercevra-t-il ? Le sens des responsabilités et la qualité du service s'érodent.

Pendant ce temps, les superviseurs ont l'impression d’être abruti ou de ne servir à rien en devant remplir quotidiennement des feuilles Excel, doutant que ces fichiers soient un jour utilisés. Les travailleurs se fient au bon sens par le contact direct, ou sombrent dans la démotivation.

Les deux chemins mènent au même résultat : un moindre recours à la technologie, qui pourrait pourtant contribuer à structurer le travail et la communication.

L'ironie est profonde. Les organisations ne parviennent pas à atteindre la productivité et l'efficacité exceptionnelles promises par la technologie, car leurs systèmes créent précisément les problèmes que la technologie est censée résoudre.

Le problème de pouvoir et responsabilité

François Dupuy a montré que les organisations modernes ont séparé pouvoir et responsabilité : les règles et contrôles excessifs fragmentent les responsabilités et créent des zones de pouvoir informelles. Cela engendre une perte de lisibilité, une faible coordination et une frustration des opérationnels, responsables sans avoir réellement les moyens d’agir. 

Le management se concentre trop sur la production de règles plutôt que sur la coopération et le soutien des équipes. 

Les travailleurs ont des responsabilités sans pouvoir. Ils ne peuvent pas organiser l'ordre des tâches ni modifier les informations sur le terrain lorsque celles-ci leur sont transmises par la big machine d'en haut. Les instructions sont figées et ont été définies par des personnes souvent éloignées du terrain ce qui se traduit par des petits ajustements à faire en permanence pour s’adapter à la réalité du terrain.

Cela crée des frictions opérationnelles qui coûtent considérablement aux organisations. Les recherches indiquent que 64 % des employés perdent au moins trois heures par semaine à cause d’une collaboration inefficace.

Ce n'est pas seulement du temps perdu. C'est aussi une perte de confiance, d'engagement et d'opportunités d'exploiter la technologie pour de réels gains de productivité. La solution est de réarticuler pouvoir et responsabilité en redonnant autonomie aux opérationnels, sens au management, et en rétablissant confiance et transparence.

Quand de belles choses arrivent

J'ai été témoin de ce qui se passe lorsque l’on arrive à synchroniser le tryptique : superviseurs, travailleurs et utilisateurs finaux pour travailler ensemble au lieu de travailler isolément.

Les superviseurs retrouvent la sérénité. Leur charge de travail est gérée dans les délais. Chaque tâche est clairement confiée à un responsable. Les délais sont respectés sans décisions stressantes de dernière minute.

Les travailleurs sortent de l'ombre. Souvent des héros invisibles, ils accomplissent un travail crucial que personne ne remarque. Mais les systèmes collaboratifs leur permettent de valoriser leurs contributions et de contextualiser leurs tâches pour qu’ils puissent prendre de bonnes décisions.

Que la tâche soit confiée à un employé, un client, un utilisateur final, une exigence de conformité ou une décision de la direction, les travailleurs comprennent la situation dans son ensemble. Ce contexte transforme leur approche du travail.

Les utilisateurs finaux bénéficient d'un élément apparemment élémentaire, mais qui fait toute la différence : les retours d’information. Quand ma tâche sera-t-elle traitée ? Y a-t-il quelqu'un en charge ? Cette transparence améliore considérablement la qualité de service perçue en permettant de mieux gérer les attentes, de répondre avant qu’on nous pose des questions et simplement de communiquer sur ce que l’on fait.

Les organisations utilisant des outils de collaboration numérique affichent une productivité de 15 à 25 % supérieure et réduisent les coûts de 10-15 %.

“dire ce que l'on pense, faire ce que l'on a dit et dire ce que l'on a fait”

Entre intentions et pratiques effectives 

Les directeurs et managers adoptent généralement les services collaboratifs, car ils y voient un potentiel de sérénité. Les employés et les agents de terrain apprécient cette structure, car elle permet d'organiser ce qui arrive généralement de manière désordonnée par une discussion orale, par SMS, par e-mails ou via des logiciels obsolètes qui mettent une minute à charger le premier écran.

Les utilisateurs finaux constituent le principal point de friction. Ils s'interrogent sur l'opportunité d'abandonner la simplicité des SMS pour une application, surtout si celle-ci est fastidieuse.

La facilité d'adoption devient essentielle. Vous devez démontrer l'importance du retour d’information et de la disponibilité constante du service via l'application pour donner envie de s’affranchir des SMS/emails. Pas d'absences, pas de congés maladie, juste une réactivité constante.

Cela dit, il n'y a pas de formule magique. La confiance se construit par la répétition de tâches bien exécutées. Les gens ont besoin de constater la fiabilité du processus avant d'y croire.

La stratégie du bac à sable pour tester et avancer

La mise en œuvre d’un process collaboratif passe souvent par un périmètre restreint avant de s’étendre. Créez un périmètre de test où les superviseurs et un ou deux employés peuvent clôturer des tâches ensemble. Cela les aide à prendre confiance dans la nouvelle application de manière ludique.

Progressivement, le cercle s'élargit pour inclure davantage de demandeurs de services. Le volume et le nombre de participants augmentent naturellement. La confiance se transmet des utilisateurs existants aux nouveaux venus qui découvrent le système.

Après 15 à 20 répétitions, les gens se sentent généralement prêts à passer à plus grande échelle. Ils le font à leur rythme lorsqu'ils sentent qu'ils maîtrisent le processus.

Cette croissance organique reflète l'évolution du problème initial. Au lieu de multiplier les tâches, vous créez des cercles de confiance et de collaboration en expansion.

Le compromis de transparence

Nous entrons dans une ère de transparence, qui se manifeste par la « collaboration » qui est rendue possible par les guides que sont les plateformes collaboratives. Chacun comprend que partager quelques informations privées présente des avantages considérables.

La géolocalisation permet de retrouver des personnes et des lieux. Les calendriers partagés facilitent la coordination des plannings. Un contexte détaillé sur les lieux et les problèmes accélère la résolution.

Le même principe de transparence s'applique à la collaboration pour la maintenance ou les services. Lorsque les superviseurs, les employés et les demandeurs partagent ouvertement des informations, chacun bénéficie d'une meilleure coordination et d'une résolution plus rapide des problèmes.

Certaines personnes résistent initialement à cette transparence. Elles préfèrent garder le secret pour conserver leur pouvoir. Mais le test décisif est simple : « Si vous le diriez aux deux parties dans une pièce ou au téléphone, pourquoi ne pas le mettre par écrit ? »

Cette question met en lumière la thésaurisation de l’information par rapport aux préoccupations légitimes en matière de confidentialité.

Le changement culturel

Pour que les services collaboratifs fonctionnent et prospèrent, la culture d'entreprise nécessite un minimum de transparence chez les premiers utilisateurs. Ceux qui ont un esprit de triche et qui accumulent l'information pour le pouvoir ont besoin d'un travail de développement personnel.

Mais à mesure que la collaboration transparente s'installe, un phénomène remarquable se produit. Les personnes qui réussissent leur transition disent souvent se demander comment elles travaillaient avant, ou déclarent “je ne me verrai pas revenir en arrière”.

La transformation va bien au-delà du simple changement de logiciel. Elle représente un changement fondamental, passant d'une pensée taylorienne héritée à un travail collaboratif moderne.

La plupart des gens ne considèrent pas le taylorisme d'un point de vue théorique. Ils l'ont simplement vécu à travers des systèmes informatiques conçus dans les années 1990 qui les ont maintenus isolés dans leurs fonctions.

L'avenir du travail entre demandeurs, intervenants et superviseurs

Je suis convaincu que les produits permettant de collaborer autour de tâches, de conversations et d'événements partagés domineront la prochaine décennie. Les organisations qui connaîtront la plus forte croissance et l'adoption la plus forte seront celles qui connecteront les gens plutôt que de les séparer.

Il ne s'agit pas seulement d'une adoption technologique. Il s'agit de combiner pouvoir et responsabilités aux bonnes personnes et d’oser jouer la carte de la transparence en vue de gagner rapidité, efficacité et confiance.

Le problème des piscines paraîtra absurde aux futurs travailleurs qui ne peuvent imaginer des systèmes qui empêchent délibérément la communication entre les superviseurs, les demandeurs et les équipes de première ligne.

Mais pour y parvenir, il faut reconnaître que les dysfonctionnements actuels ne sont pas accidentels. Ils sont hérités d'une théorie de gestion industrielle qui a fait ses preuves à une autre époque.

La question n'est pas de savoir si le suivi collaboratif remplacera les systèmes de gestion des tâches balistiques, mais plutôt de savoir à quelle vitesse les organisations reconnaîtront que leurs employés mènent déjà des rébellions silencieuses contre les anciennes méthodes de travail.

Le digital avance avec chaque nouvelle génération qui arrive. La suite est soit d’en être conscient et d’adopter son propre style collaboratif, soit de se laisser entraîner par les autres qui vous mettront progressivement à disposition des espaces collaboratifs.

contact : 

Hugo GERVAIS 

hugo@urbest.io