Objectif Proviseur
Patrick Ancel a partagé avec Urbest son expérience d’ancien proviseur et d’expert en accompagnement de personnel de direction d’établissement scolaire. Ses réflexions nous éclairent sur le métier des proviseurs et des équipes de direction de lycées ainsi que les compétences à maîtriser pour l’avenir.
Quelles évolutions avez-vous vu au cours de ces dernières années?
A partir de 1980, l’informatique a changé les gestes quotidiens. Des applications en lien direct avec l’éducation nationale sont apparues tel que les bases de données, le signalement de faits graves, la gestion des moyens horaires, les actes administratifs, …
Des applications de gestion des notes ou de l’emploi du temps ont facilité le quotidien.
Les process financiers des établissements ont aussi été modernisés avec des applications partagées entre les personnels en charge de ce domaine. La rapidité et la visibilité des opérations de gestion est devenue une réalité apportant par là même de la précision en temps réel au suivi de la gestion financière.
Plus récemment, il a fallu s’adapter à la relation professionnelle en distanciel par la visioconférence et l’usage d’interface facilitant la relation entre les usagers et les établissements.
La réforme du lycée a un impact sur l’organisation des cursus. Cependant elle est la suite de celles qui l’ont précédé. Un regard sur l’histoire de l’école montre une continuité d’évolutions qui s’appuie toujours sur l’existant. Il n’y a pas de remise en cause complète des fondamentaux mais une redéfinition de leur mise en œuvre.
La réforme des collèges en 2016 est emblématique de ce point de vue. Elle conforte les principes du socle commun de compétences, de connaissances et de culture, mis en application depuis 2005, et propose des modalités nouvelles de mise en œuvre en s’appuyant sur des concepts des sciences de l’éducation.
De quelles compétences aura besoin le proviseur du futur?
De compétences similaires à celles qui sont déjà nécessaires aujourd’hui et qui reposent sur la capacité à gérer des relations humaines. Comprendre la psychologie des élèves, des partenaires et des parents est essentielle dans l’exercice du métier de personnel de direction.
Les missions constantes pour l’établissement sont : la formation, la transmission de connaissance, le savoir être et le savoir-faire. Aborder ces dimensions hors du champ de ce qui est appelé aujourd’hui la ressource humaine est un non-sens. En optant pour une démarche de cette nature le personnel de direction se donne la capacité de trouver dans les compétences techniques qui sont siennes des éléments de réponse structurants.
L’objectif fondamental est, demeure, de former le citoyen de demain qui ne peut être un utilisateur de formes technologiques de l’analyse, de la pensée et de la réponse à toute situation impose une approche certes systémique mais surtout politique sinon humaniste. L’adaptation aux réalités du monde contemporain est indispensable mais ne peut devenir l’alpha et l’oméga de la formation des citoyens qui est l’un des piliers des missions confiées par la nation au système éducatif.
Le personnel de direction doit se positionner en tant que technicien. Il a de nombreux cadres d’expression dans cette dimension. La gestion des personnels selon les procédures réglementaires, des moyens alloués, l’élaboration des dossiers d’actions, la gestion financière et matérielle, … Cette polyvalence lui ouvre la capacité de faire un lien permanent entre la réalité à l’instant T et la projection de celle de l’établissement à court et moyen terme.
La technicité doit demeurer un appui. Elle ne peut devenir un recours permanent car elle bridera par la rigueur des textes et procédures. S’adapter aux règles n’est pas une incongruité mais il est indispensable de s’imposer une mesure de raison à cette posture.
Le personnel de direction ne peut occulter qu’il est et sera tenu pour responsable de toute réussite comme des dysfonctionnements. Sa marge de manœuvre en devient parfois étroite mais il doit en permanence l’explorer.
Comment gérer des jeunes qui seront de plus en plus digitaux et qui trouveront bientôt obsolète d’apprendre à écrire avec un stylo alors qu’ils auront été bercés à la tablette?
La génération XY, voire Z est bercé, grandi dans l’espace des réseaux sociaux et de la technologie numérique. Ceci est une réalité que le système éducatif ne peut ignorer.
Le défi de l’écriture manuscrite est déjà là. Il est sans aucun doute indispensable de faire preuve d’obstination sur la pratique du papier crayon.
Mais en démontrer la pertinence demeure complexe. Je ne sais pas quelle proposition formulée pour répondre.
Comment rendre les lycées plus attractifs qu’une chaîne éducative Youtube?
Le système de classe inversée offre un bon potentiel. Le principe consiste à donner par anticipation le contenu du cours aux élèves et à consacrer le temps en classe à l’exploration des points de celui-ci. La relation pédagogique s’appuie dès lors sur la congruence des points que l’enseignant souhaite mettre en exergue avec ceux qui ont interpellés les apprenants. Ce dernier point s’entend tant pour de l’approfondissement des notions du cours que pour des sujets extensifs de connaissances et de formation à la dialectique que le numérique n’ouvre pas.
Nous revenons également à la dimension humaine dans la mesure où une formation strictement adossée à une chaîne type Youtube en asynchrone notamment ne facilité pas pour l’apprenant la demande d’éclaircissements ou de précisions contrairement à de la relation directe.
Est-ce qu’un responsable d’établissement doit influencer les enseignants pour qu’ils se modernisent ?
Le personnel de direction n’entre pas dans l’analyse de la didactique (NDLR : qui vise à instruire, informer, enseigner) d’une discipline.
Par contre ses compétences en matière pédagogique sont et demeurent un axe constant de sa pratique professionnelle. Il doit être considéré comme le premier pédagogue de l’établissement.
Cela fait parfois réagir mais une analyse distanciée de sa position permet d’appréhender ce concept. En premier lieu il est issu du corps enseignant ou de la vie scolaire. Il a donc une expérience dans le champ de la pédagogie, c’est-à-dire qu’il connaît les principes de mise en œuvre d’une didactique disciplinaire. Comme évoqué plus avant il est en contact permanent avec toutes les composantes internes et externes. Tout en étant au cœur du système que représente un établissement il en est, il doit l’être, au dehors afin de synthétiser les forces et les faiblesses de ce dont il est responsable. Sa connaissance des élèves, des personnels avec lesquels il est au contact quotidiennement est une source d’informations fondamentales pour analyser son établissement. Il croisera cette connaissance avec les éléments réglementaires, politiques, … pour assurer un équilibre et générer une vie sociale la plus régulée possible.
Qu’est-ce que le projet d’établissement?
Comment l’établissement à partir du cadre institutionnel posé par l’état via le Ministère construit-il une identité qui lui est propre et loyal à l’institution?
Le projet d’établissement est la réponse à cette question. Il exprime le croisement pertinent de la mise en œuvre des politiques institutionnelles et des réalités de l’établissement. La compatibilité et la conformité de l’un avec l’autre de ces paramètres doit guider la conduite d’élaboration du projet. Cela s’impose également au personnel de direction qui est représentant de l’état, position générant des obligations.
Comment mettre en place des outils pour lancer un projet d’établissement?
Il faut trois choses : des objectifs, des actions et des indicateurs.
Le projet sur la base d’une analyse locale, des politiques citées plus haut. Il en découle des objectifs qui guideront la nature des actions mises en œuvre au long de sa durée soit cinq années. Son élaboration est obligatoire et elle doit associer l’ensemble de la communauté éducative ce qui implique la participation des parents et des élèves.
Ne pas s’attacher à cet aspect pose la question de la reconnaissance de la pertinence du projet, de son animation, de l’analyse de ses effets par des indicateurs définis dès son élaboration.
Le projet est amendable en cours durée de vie par des bilans intermédiaires indispensables.
Il est surtout pour le personnel de direction un outil de pilotage de la projection de l’établissement maintenant et au-delà et de l’activité qui en découle.
Il existe d’autres cadres de pilotage complémentaires pour le personnel de direction. Le contrat d’objectifs négociés avec l’autorité académique dont l’objet est, à partir d’une analyse des résultats et du projet notamment, de fixer des buts quantitatifs et qualitatifs cohérents avec les politiques en cours. Le personnel de direction se voit aussi notifier une lettre de mission qui lui est personnelle. Celle-ci est construite sur le principe du contrat d’objectifs mais elle s’appuie strictement sur le référentiel professionnel.
Le personnel de direction est donc engagé dans une triple démarche de pilotage dont chacune des parties est articulée avec les autres.
Est-ce que l’on peut comparer l’activité de pilote d’établissement à celle d’un Directeur Général des Services d’une collectivité?
Pour ce que j’en sache le pilotage d’un établissement comprend davantage de latitude que la gestion d’une collectivité car il n’est pas soumis en permanence aux avis des élus.
La technicité d’un directeur général des services est fondamentale. Il doit également se positionner en conseiller des élus pour leur indiquer les opportunités à saisir ou, et les erreurs à éviter.
Le personnel de direction évolue dans un contexte d’autonomie relative. Les réglementations applicables et la définition de ses missions par le code de l’éducation lui donnent la compréhension de son espace d’actions. Il aura à référer, rendre compte de celles-ci et à en assumer les conséquences positives ou pas.
Mais il ne peut être, sauf contexte exceptionnel, être relevé de ses fonctions. Ses désaccords avec l’institution ou, et avec la communauté éducative seront gérés en direct et c’est à lui de prendre les mesures adaptées.
Ma réponse correspond à une expérience de vécu ce qui la relativise.
Au-delà de la qualité des équipes pédagogiques, quels facteurs peuvent jouer sur l’attractivité d’un lycée?
L’attractivité est liée, notamment, au “climat scolaire” et ses 7 paramètres :
- La coéducation : C’est l’attention portée à l’accueil, à la communication, à la parole des parents.
- La justice scolaire : C'est ce qui va aider les élèves à comprendre le sens des règles, des droits, des devoirs et à acquérir les compétences sociales nécessaires pour un comportement juste avec autrui.
- La prévention des violences : Un plan de prévention à l’école prend en compte le harcèlement, la lutte contre toute forme de discrimination, la gestion de crise dans la classe et dans l’école.
- La stratégie d’équipe : C’est l’attention portée à l’accueil, l’accompagnement, la mutualisation pluriprofessionnelle, la cohérence et la cohésion, la parole d’acteurs, le bien-être des personnels.
- La coopération : La coopération entre élèves favorise de nouvelles stratégies pédagogiques, la motivation et l’engagement des élèves.
- Les pratiques partenariales : Elles s’appuient sur l’ensemble de la communauté éducative, les collectivités territoriales et les associations.
- La qualité de vie à l’école : C’est l’attention portée à la qualité des temps, des espaces, à la convivialité scolaire et au bien-être.
Les résultats diffusés par le ministère et la valeur ajoutée fichée sont également regardés avec attention par l’ensemble des acteurs et portent une image de l’écart avec l’attendu, dont la rationalité s’affronte à la relativité de l’analyse individuelle.
Est-ce que le patrimoine immobilier est un facteur de préoccupation?
Permanent, parce que c’est lié à la sécurité. Le personnel de direction est responsable de la sécurité des personnes et des biens. Avec son équipe et en particulier l’adjoint gestionnaire en charge des sujets techniques, la maintenance et le suivi de la sécurité du lycée sont à suivre au quotidien.
Il ne s’agit pas de se déclarer omniscient mais il est fondamental d’avoir une posture de vigilance constante. Être éloigné de ces sujets constitue une erreur, voire une faute qui sera ramenée vers la personne en cas d’incident même mineur et de quelque nature qu’il soit.
Quel message souhaiteriez-vous faire passer à quelqu’un qui souhaite évoluer vers un poste de personnel de direction?
Vous aurez remarqué que tout au long de ce propos j’ai employé l’expression personnel de direction. En effet le cadre réglementaire est adossé à un statut dénommé ainsi. Chacun occupe un emploi soit de chef d’établissement soit d’adjoint à celui-ci ce qui s’applique aussi bien en collège qu’en lycée.
Les candidats à ce statut doivent s’imprégner de plusieurs données :
Vous aurez un agenda qui pourra être bousculé pour des raisons de toute nature.
Vous aurez à traiter au long des jours et des semaines de nombreux dossiers dans des domaines d’activités variés.
Vous aurez la chance de rencontrer de multiples contextes de vie humaine tous plus riches d’enseignement les uns que les autres.
Vous devez savoir que les responsabilités qui en découlent sont réelles mais elles ne peuvent polluer les prises de décision que vous gèrerez.
Vous devrez savoir vous protéger de cette pression en vous réservant des temps de vie personnelle. Cet objectif est essentiel mais parfois difficile à préserver tant le quotidien s’impose. Vous aurez à gérer des crises ce qui augmentera la pression mais vous consolidera dans l’exercice du métier.
Vous aurez à savoir vous distancier pour construire un regard global de la situation de l’établissement accédant à une dimension dans laquelle l’affectivité aura moins de place.
Cette « liste » n’est pas exhaustive, de loin. Mais ce qui peut résumer ma pensée est :
Ce métier est passionnant.
Pour aller plus loin :
Quel est le rôle d'un proviseur de lycée?
En qualité de représentant de l’exécutif et nommé par le ministre de l’éducation, le proviseur a notamment les responsabilité :
a) Représente l'établissement en justice et dans tous les actes de la vie civile ;
b) A autorité sur le personnel n'ayant pas le statut de fonctionnaire de l'Etat, recruté par l'établissement ;
c) Préside le conseil d'administration, la commission permanente et le conseil de perfectionnement et de la formation professionnelle ;
d) Est ordonnateur des recettes et des dépenses de l'établissement ;
e) Prépare les travaux du conseil d'administration et notamment, en fonction des orientations relatives à l'équipement et au fonctionnement matériel fixées par la collectivité de rattachement et dans la limite des ressources dont dispose l'établissement, le projet de budget;
f) Exécute les délibérations du conseil d'administration et notamment le budget adopté par le conseil d'administration ;
g) Soumet au conseil d'administration les mesures à prendre dans les domaines définis à l'article 2 et exécute les décisions adoptées par le conseil ;
h) Avec l'autorisation du conseil d'administration, conclut tout contrat ou convention au nom de l'établissement et notamment tout contrat relatif aux actions de formation continue ;
Pour plus d’information, se référer au décret du 30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux d’enseignement (cf. code de l’éducation).
Quel est le salaire d'un proviseur de lycée ?
Il existe une grille de salaire statutaire basé sur une classe normale, une hors-classe et une classe exceptionnelle. Chacune d’entre elle est contingenté selon l’ensemble des personnels intégrés dans le corps.
La classe exceptionnelle représente un faible pourcentage mais elle donne accès à des hautes échelles de rémunération de la fonction publique.
De plus il existe un régime indemnitaire liée à la responsabilité de direction variable selon l’emploi de chef ou d’adjoint.
Les établissements, font l’objet d’un classement par type, collège-lycée professionnel ou lycée, selon des critères de nombre d’élèves, de dispositifs particuliers, de présence de formations post-baccalauréat, d’internat, …, qui attribue une indemnité qui n’intègre pas le calcul de la pension de retraite. Les catégories vont graduellement de 1 à 4 exceptionnelle.
Enfin il faut prendre en compte le logement par nécessité de service. Le logement est occupé gratuitement mais est considéré comme avantage en nature donc pris en compte dans les revenus pour les impôts via la valeur locative et les consommations de fluide (eau, gaz, électricité) elles même contingentées sur des critères spécifiques fixées par la réglementation fiscale.
Enfin des compléments d’activité de l’établissement peuvent générer des rémunérations. C’est le cas pour la formation continue ou l’apprentissage se déroulant in situ, les examens du baccalauréat.
Qui est le supérieur hiérarchique d'un personnel de direction ?
La stratification si nous la prenons en verticale depuis la centrale : ministre, recteur d’académie, directeur académique des services de l’éducation nationale (DASEN)
Si nous parlons opérationnel le DASEN est le lien de proximité puis le recteur. Le ministre est loin dans l’organigramme de l’éducation nationale.
Comment devenir proviseur ou principal ?
Voir plus haut sur le statut dont l’accès se fait sur concours spécifique pour intégration au corps des personnels de direction.
Chaque année, des concours des personnels d’encadrement ont lieu avec environ 3000 candidats pour 600 admis.
Attention : il y a une clause de mobilité géographique et fonctionnelle dans le statut. Un personnel de ne pas exercer dans un même établissement plus de 9 ans mais ne pas non plus le quitter avant la fin de la 3ème année. Pour la géographie il y a une souplesse en lien avec les postes disponibles et les impératifs de vie personnelle qui parfois ne portent pas à de grands mouvements contrairement à certains autres corps (militaires, gendarmes). Pour les postes de chefs, principal ou proviseur, nous sommes dans une démarche de carrière.
Certains choisissent des emplois d’adjoint sans discontinuer, d’autres aspirent à des emplois de chef et y ajoutent une progression de type et de catégorie d’établissement.
L’autorité académique est en charge de la gestion des carrières et fait en sorte que l’affectation soit en rapport positif avec le profil personnel et professionnel de la personne qui aura systématiquement émis de vœux d’affectation.
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